Quand ça veut pas !

Introduction

Actuellement on estime à près de 8500 le nombre d’astéroïdes géocroiseurs de plusieurs centaines de mètres de long. Ce sont des lunes potentielles pour notre planète.
Des lunes ? Oui des lunes ! Des objets naturels qui tournent inlassablement autour de la Terre comme notre bonne vieille Lune. Des satellites naturels comme ceux là, il en existe aussi de plus petits, d’une taille de quelques mètres seulement mais beaucoup plus nombreux, des millions en fait. Le problème c’est qu’ils sont indétectables depuis la Terre avec les technologies actuellement disponibles.

Chapitre 1 : Putain de caillasse volante
Chapitre 2 : L’esquive
Chapitre 3 : Retour sur Terre
Annexe

Putain de caillasse volante

1500 kilomètres d’altitude… l’espace.
Cette distance pourtant relativement grande n’est en fait qu’une orbite basse pour les satellites.
Autour de la Terre depuis 3 semaines, le « Grappler », une navette minière de la « Mineral Society », société de ramassage de roches orbitales, semblait immobile dans le vide spatial.

Dans le silence de la navette, un détecteur se mit à cliqueter. Une lumière rouge s’alluma, transformant l’ambiance lumineuse des 4 modules du vaisseau en chambre noire de photographe.
Les concepteurs de ce système de surveillance l’avaient surnommé HAL, en souvenir d’un vieux film d’anticipation. Oh bien sûr ce HAL là n’était pas plus intelligent qu’une calculatrice d’étudiant. Il ne faisait que lire des fichiers audio contenant des mots ou des phrases courtes. Des fichiers dont on avait programmé la lecture en réponse à certains stimuli extérieurs : température, pression, bruits ou résultats de calculs.

Donc non, HAL n’était pas intelligent, une compétence absolument hors d’atteinte des ingénieurs humains encore à l’heure actuelle. Cela dit, même si cet amas de composants électroniques avait été construit aujourd’hui 27 mars 2024, il ne penserait pas plus. Aucun éclair, ni aucune araignée radioactive ne lui auraient donnés la moindre étincelle de vie. Les romans de science-fiction étaient bien loin quand il s’agissait de rentabilité. Cependant il faisait tout de même partie des derniers nés de sa génération dotés d’une batterie de processeurs dernier cri. De fait, HAL calculait très, très vite sur des équations très, très complexes mais est et resterait un très, très mauvais compagnon de voyage.

Pour le moment HAL était programmé pour un job : enclencher le réveil d’urgence des humains présents dans la salle de repos.
Dans cette salle, une seule des cabines verticales était occupée. Le capitaine Franck « Silver » Mortimer, un quinquagénaire aux cheveux blancs, courts et frisés, y ronflait bruyamment. Quand la cabine de Silver s’ouvrirait, surnom qu’on lui donna quand vinrent ses premiers cheveux blancs, « Putain de caillasses volantes » seraient les premiers mots qui sortiraient de sa bouche :
– Putain de caillasses volantes ! dit donc le capitaine en ouvrant les yeux. On peut pas pioncer tranquille alors ?
– Bonjour mon capitaine ! dit HAL dynamique.
– Pffffff, ils auraient quand même pu caler une voix de gonzesse, ça aurait été plus sympa au réveil, dit Silver dans un souffle.
– Bonjour mon capitaine ! répéta HAL sur le même ton dynamique.
– Et il va passer son fichier en boucle jusqu’à ce que je dise la phrase reconnue par le programme… putain c’est lourd.

– Bonjour mon capitaine ! repris à nouveau HAL sans relever le reproche dont il venait d’être la victime.
– Et pas moyen de savoir ce qu’il me veut tant que j’aurai pas dit la phrase magique… une sacrée bande de bras cassés ces ingénieurs au service de l’Intelligence Artificielle. Oui HAL, je suis debout ! finit par lâcher le pilote. « Tu as bien fait ton travail », compléta-t-il entre ses dents.
– Bonjour mon capitaine ! répéta HAL une fois de plus, comme s’il n’avait pas entendu la réponse.
– Qu’est-ce qu’il lui prend à celui-là… pourquoi il m’emmerde ? Ah… OK ! je me suis encore gouré, dit le capitaine en affaissant les épaules. Je retiens pas ce truc c’est dingue. Oui HAL, je suis… bien réveillé, articula-t-il. Ça va c’est bon, tu passes à autre chose ?
– Heureux de l’apprendre mon capitaine, enchaîna la machine.
– Tu ne sais pas ce que veut dire “être heureux”, maugréa le capitaine.
Mais le programme poursuivit, imperturbable :
– Un événement… imprévu… m’oblige à vous sortir… de votre… sommeil, commença le système vocal automatisé. D’après mes calculs… la… trajectoire… d’un… géocroiseur… coupera… notre… trajectoire… dans… 15…minutes… Êtes-vous opérationnel ?
– Non non, je me suis recouché, ironisa Silver.
Puis, après quelques secondes, il enchaîna d’un ton militaire en clamant :
– Opérationnel… chef !
– Quand je pense au temps qu’on perd avec ces conneries de simili langage humain. dit-il en s’habillant. Alors qu’il aurait suffit qu’il me réveille en hurlant : Alerte collision ! OK je lui aurais pété la tête pour m’avoir réveillé en sursaut, mais au moins j’aurais eu le message. Seulement voilà, les actionnaires ont adoré que HAL s’exprime comme nous. Du coup, les ingénieurs ont bossé sur un truc pas utile au lieu de développer ZE programme : Comment esquiver des cailloux de 3m de diamètre perdus dans l’espace.

Tandis qu’il finissait de se vêtir, un bruit lointain lui fit tourner la tête :
– Eh Jam, qu’est-ce que tu fous ? cria le capitaine.
Après quelques secondes, la tête rasée du second pilote passa l’encadrement de la porte :
– Désolé, mon capitaine. J’étais dans le module quatre pour un test électrique, s’empressa de répondre le jeune lieutenant James Willburn, second pilote du Grappler.
– Tu sais d’où vient l’alerte ? demanda Silver.
– Non mon capitaine. répondit James du haut de son mètre quatre vingt-dix. Je suis passé voir ce que vous désiriez avant d’aller dans la cabine de pilotage.

Passant la main dans ses cheveux blancs, Silver emboîta le pas du jeune homme. Une fois dans le cockpit, suivi de près par le capitaine, le second pilote fut intrigué par une information.
HAL avait précisé à Silver lors de son réveil qu’un géocroiseur couperait leur trajectoire dans 15 minutes. Sachant que le capitaine avait pris 2 minutes pour sortir de sa cabine et environ 30 secondes pour arriver ici avec lui, le compteur aurait dû afficher 12 minutes au minimum. Or là, il n’en affichait que… 7 !
– Mon capitaine avez-vous vu le compteur ? demanda James.
– Et alors ? répondit Silver irrité.
Quelques secondes de flottement passèrent avant qu’il ne réponde :
– Hey mais… qu’est-ce qu’il débloque encore ce con de HAL ? Comment ça 7 minutes ?
– Jam, prend les commandes, dit-il rapidement en coupant HAL. On se tire de là !

James s’assit prestement dans son fauteuil, réglé pour laisser de la place à ses jambes immenses. Il entama immédiatement la procédure de déviation de trajectoire, une « esquive » comme l’appelait les mineurs. Pendant ce temps-là, Silver vérifiait les instruments à l’aide de l’écran tactile souple cousu sur sa manche.
Un glissement de doigt à droite, un vers le haut, il avait maintenant devant les yeux la liste des instruments de bords et leurs statuts, et ce qu’il vit le fit s’écrier :
– Jam c’est quoi ce bordel ? Pourquoi on tourne sur les générateurs de secours ?
– Comment ça mon capitaine ? J’ai fait un simple test électrique il y a 10 minutes et tout s’est bien passé. D’ailleurs, si c’était le cas, nous n’aurions plus de communications non plus, répondit le second, surpris par l’affirmation du capitaine.
– Eh ben justement… on a plus de communication ! s’écria-t-il.

Le capitaine Mortimer s’activa à nouveau sur la tablette, validant des options, scrutant les diverses informations qui défilaient sous ses yeux. Ses doigts volaient sur l’écran tactile comme un pianiste en concert. À force de manipulations, il réussit à rendre son ambiance blanche et diffuse à la navette. Au même moment, alors que les deux pilotes se ré-accoutumaient à cette lumière, un cri retentit dans les hauts parleurs de la navette :
– …RTIMER, REPONDEZ BON SANG !!!
– Ici le capitaine Franck Mortimer, dit Silver. On a eu un problème électrique et un caillou nous fonce dessus.
– Bon sang capitaine, ici le Premier Calculateur Gaspard. Ça fait 10 minutes qu’on essaye de vous joindre. hurla le chef de la division statistique. À ce stade, c’est à votre propre mort que vous allez devoir faire face, vous êtes sur le point d’être vaporisé par un caillou aussi gros que le Grappler.
– Nous maîtrisons la situation monsieur, décréta James.
Mais c’est le capitaine qui enchaîna :
– On vous rappelle dès qu’on est sorti de la mouise pour faire un point. Terminé ! et il coupa la communication.
– Capitaine, vous… le statisticien n’eut pas le temps de finir sa phrase.
Après deux secondes de silence, le capitaine ralluma la radio et ajouta en colère : Ah oui, et c’est ce con de HAL qui a encore merdé !
– Ne faites p…

Les sourcils froncés, Silver se tourna vers son second :
– Alors Jam, on en est où ? demanda le capitaine.
Le second pilote tourna la tête lentement vers son supérieur. Il était livide.
– J’ai refait mes calculs 3 fois mon capitaine, lâcha le jeune homme. Nous entrerons en collision avec l’astéroïde géocroiseur AD234 dans 3 minutes.
– Je sais qu’on est en alerte collision bordel !! s’écria Mortimer, Je te demande ou tu en es de l’esquive ?
– Je me suis mal fait comprendre mon capitaine. Nous aurions eu le temps de manœuvrer si nous avions bénéficié de plus de puissance. Or le Grappler n’est pas prévu pour une course de vitesse à 10.000 km/h.
– Tu plaisantes ? On y passe là maintenant ? souffla le capitaine, les yeux écarquillés.
Ne sachant quoi ajouter de plus, James retourna à ses manœuvres. Finir percuté par un astéroïde n’était pas la mort qu’il avait souhaitée… il allait donc se battre encore quelques minutes.

Au même moment sur Terre, dans les locaux de la « Mineral Society », Robert Gaspard un petit homme à la peau chocolat au lait et aux cheveux très courts, statisticien de son état, n’en revenait pas qu’on lui ait coupé la parole. D’ailleurs, il n’en revenait pas non plus qu’on ait mis en doute les qualités techniques de HAL. Du haut de son costume 3 pièces, il pensait même très sincèrement que ces mineurs se croyaient décidément tout permis. Un rapport atterrirait sur le bureau du patron, ça ne traînerait pas. Il ne laisserait certainement pas passer ce « c’est pas de ma faute » totalement puéril. Des millions d’euros étaient tout de même en jeu.
Remettant ces petites lunettes rondes d’aplomb, il se tourna vers l’observateur en faction devant le radar et demanda :
– Ils en sont où ?
Assis de l’autre côté du bureau, son subalterne consulta ses écrans par-dessus ses lunettes.
Analysant la situation en quelques secondes, il se tourna vers son chef et répondit désarçonné : A moins d’un miracle monsieur… je ne les vois pas s’en sortir, dit-il en secouant la tête de gauche à droite.
– Le géocroiseur sera sur eux dans moins de 3 minutes, finit-il.
Robert n’avait plus d’autre choix que d’appeler la direction illico. Il devait se protéger des frasques de ce capitaine chahuteur.

L’esquive

Voyant la réaction désespérée de James, Silver passa rapidement en revue ce qu’il avait sous les yeux : des cartes de la Lune où ils auraient dû se rendre avant la fin de la mission, des stylos, des écrans de formes multiples affichant des informations alarmantes sur la situation, des combinaisons spatiales pour les rares sorties qu’ils avaient à faire, une arme à feu qui se trouvait plus là pour obéir à un cahier des charges que par nécessité, des placards fermés contenant de la nourriture lyophilisée ainsi que de la vaisselle en plastique végétal, des outils en tout genre et d’innombrables équipements scientifiques embarqués.

Ces derniers étaient présents en grand nombre car c’est grâce à eux que l’on obtenait les subventions nécessaires au financement de la « Mineral Society » et de ses vaisseaux. « Des » vaisseaux ? Oui, il y avait en orbite autour de la Terre en ce moment même, plusieurs dizaines de Grappler exécutant leur missions sans aucun soucis, doté du même HAL débile.

Mais alors que la fatalité l’envahissait, ses yeux revinrent vers l’arme à feu et un éclair lui traversa l’esprit.
– Peut-être que ça marcherait… se dit-il. Il te faudrait une poussée latérale pendant combien de temps pour cette esquive ? demanda Silver en sautant de son siège.
– Ou voulez-vous en venir mon capitaine ? Il nous reste moins de deux minutes vous savez, dit James en levant la tête. Voyant que le capitaine ne réagissait pas il poursuivit :
– En admettant que nous ayons un propulseur de plus sous la main, il nous faudrait l’équivalent d’un bon coup de pied pendant… 30 secondes sur la gauche de la navette, termina-t-il curieux.
– Alors tu as moins de 30 secondes pour t’habiller chaudement, cria le capitaine, la température intérieure va chuter rapidement et on va vite manquer d’air.

Sa phrase terminée, il était déjà devant l’armoire ou se trouvait leurs combinaisons, des scaphandres légers et moulants munis de respirateurs intégrés aux tissus de la combinaison. L’époque des bouteilles lourdes et encombrantes étaient révolues depuis 2 ou 3 ans déjà et c’était tant mieux. On avait gagné en manœuvrabilité. Le hic, c’est qu’on avait aussi perdu en autonomie…. ce dont ils auraient justement besoin dans les prochaines minutes.
Tout en chaussant cette seconde peau, il actionna quelques commandes sur le tableau logistique ce qui interloqua son second :
– Puis-je savoir ce que vous faites avec l’oxygène mon capitaine ? demanda le second pilote Willburn qui enfilait son équipement avec fébrilité.
– En amenant plus de gaz, j’augmente la pression intérieure du Grappler, répondit Silver. Tu vas l’avoir ton propulseur de secours.

Il fallut quelques secondes à Jamie pour comprendre où son supérieur voulait en venir. Et il fut définitivement fixé sur son intention quand il le vit vérifier le fonctionnement de l’arme de bord :
– Vous n’allez pas faire ça… mon capitaine ? demanda-t-il inquiet.
La tension nerveuse qui transpirai dans la réponse de Silver était palpable :
– Tu vois d’autres solutions p’tit gars ?
Tout en finissant de mettre les gants de sa propre combinaison il alla chercher le poste à souder dans l’armoire technique :
– Au cas où ça marche et si on est toujours en vie, dit-il en haussant les épaules, il va falloir reboucher le trou.

Une fois les deux hommes habillés, le capitaine Franck Mortimer regarda le petit point au loin qui allait les désintégrer. A travers le large plastique de son masque, il laissa son regard errer quelques secondes… passa sur Jamie… puis il arma son pistolet.
Levant le bras lentement, il visa soigneusement une partie de la paroi qui, primo pourrait être trouée facilement et deuzio qui se trouvait au bon endroit pour donner la poussée qui leur fallait, dans le bon sens.

TOP !

Une impulsion électrique venant du cerveau du capitaine donna l’ordre à ses muscles de se contracter. La dernière phalange de son index droit contrainte au mouvement, se plia alors et pressa la détente du pistolet. Le mécanisme libéra le chien de l’arme qui frappa le percuteur. La fine et longue tige métallique percuta le fond de la cartouche. La poudre qu’elle contenait, comprimée, s’enflamma et explosa, expulsant la balle dans une déflagration assourdissante vers la seule issue possible : le canon.
Le 9mm cracha son projectile véloce et brûlant. Après un très court voyage dans le vide de la cabine, le métal chauffé à blanc par la vitesse, transperça la paroi aussi facilement qu’une feuille de papier se déchire sous les doigts d’un enfant. Sans ralentir une seconde il poursuivit sa route dans l’infini de l’espace, pour un voyage vers l’infini… pour peu qu’il ne rencontre aucun obstacle.

Sitôt la paroi gauche trouée, la réaction du vaisseau fut ultra violente. La fuite d’oxygène, propulseur temporaire, le fit pivoter brusquement vers la droite, déséquilibrant les deux hommes. Puis, comme les coureurs d’un 100m qui n’attendaient que le signal du départ, tout ce qui était à proximité de l’ouverture et qui n’était pas ancré à la navette se précipita vers le trou. Endommagé par les impacts multiples qu’elle subissait, l’ouverture s’élargit laissant s’échapper la plupart des petits objets du Grappler. La blessure du vaisseau s’agrandit sous les assauts du matériel fou et l’aspiration s’amplifia, projetant des objets plus volumineux vers ce nouvel orifice.
– Aie ! Pas prévu ça, songea Silver. Trop fragile la carcasse.

Les objets volaient en tout sens griffant les parois du vaisseau et endommageant les instruments. La fuite excessive d’oxygène déclencha la fermeture automatique des trois sas de la navette.
D’un coup, tout retomba. Car au même moment une plaque de métal s’était mise en travers du trou, bloquant désormais la fuite de gaz… La propulsion supplémentaire avait-elle été suffisante ?
Ils le sauraient dans quelques secondes mais c’était trop tard pour imaginer autre chose, l’astéroïde tueur était sur eux.
3… 2… 1…

La masse rocheuse passa devant les fenêtres latérales du cockpit en tournoyant, masquant la lumière du soleil. Les deux hommes retinrent leur souffle. Dans les combinaisons, on sentait la sueur et le stress. Le cockpit ne serait pas vaporisé.

Puis seulement, vint l’impact.
Les deux hommes furent projetés violemment contre une des parois. James n’eut pas le temps de se protéger et son masque se brisa sur une des étagères qui longeait la coque. Le plastique transparent vola en éclat pénétrant profondément dans son arcade gauche. Ils retombèrent tous deux mollement sur le sol de la cabine. Un terrible tremblement répercuté dans tout le Grappler se fit ressentir qui sembla durer de longues minutes… et le silence.

Un silence perturbé par de longs craquements, sinistres et inquiétants.
– HAL ! Appela le capitaine au travers de son masque.
– Bonjour mon capitaine ! répondit la machine.
– Je veux un check up des données vitales du Grappler.
L’ordinateur de bord entendit les mots-clés et énuméra aussitôt les problèmes… nombreux.

Le listing terminé, au cours duquel ils apprirent que le module quatre était totalement HS, Silver aboya sur son second pilote :
– Jamie, file au module trois voir ce qu’il se passe.
– Bien mon capitaine, répondit le jeune homme sans délai.

Faisant fi de sa blessure qui l’aveuglait partiellement, il se débarrassa de son masque brisé désormais sans visière. il ne lui servait plus à rien.

Il ouvrit le premier sas.
Le module deux, dans lequel se trouvait le bras articulé servant à récupérer les épaves de satellites semblait indemne même si le matériel d’expérimentation était éparpillé dans tout le module.
Rien à signaler.
James se dirigea prudemment vers le sas menant au module trois. Quand, au travers du hublot, il vit la lumière hésitante qui résidait à l’intérieur, il stoppa son élan quelques secondes, mais décidé et confiant dans sa combinaison, il ouvrit le second sas.
Si ce n’était la lumière chevrotante, le module trois était beaucoup moins inquiétant que son prédécesseur. En effet aucun désordre ne marquait les lieux. Sur ses gardes, il se sentait dans l’oeil du cyclone et appréhendait la tempête à venir.
Il approcha de la petite fenêtre ronde du module quatre. Ce hublot allait-il lui révéler un abominable monstre de l’espace prêt à le dévorer ? Un vortex spatio-temporel l’enverrait-il jusqu’au temps des dinosaures ?
Prenant son courage à deux mains, il jeta un oeil de l’autre côté.
Ce qu’il vit était moins spectaculaire que ce qu’il avait cru. On était pas dans un film. Cependant la situation était loin d’être idéale.

– CAPITAIIIIINE, s’écria-t-il, je vais avoir besoin d’un autre masque !
Quand Silver arriva derrière James en lui tendant un masque de rechange, il resta bouche bée quelques secondes. A travers la fenêtre ronde du sas, il pouvait voir qu’un rocher sombre de 5m de haut avait arraché l’arrière du vaisseau et trônait, immobile au bout du module.
Il se maintenait sur le vaisseau grâce à quelques lambeaux de métal encore arrimés au Grappler.
– Va soigner ton oeil, on a un problème, dit-il dans un souffle.

Retour sur Terre

Les bras mécaniques des modules deux et trois du Grappler n’aurait pas pu maintenir ce caillou géant. Mais en fin de compte, accroché là, il n’en serait que plus facile à ramener dans les hangars de la « Mineral Society ». Le patron devrait le lâcher un peu.

– JAMIIIIE, hurla-t-il après quelques minutes de réflexions. Vérifie qu’on est toujours dans les clous par rapport au plan de vol.
– Je termine à l’infirmerie et je m’y mets mon Capitaine, répondit James.
– HAL ! reprit Silver.
– Bonjour mon Capitaine ! clama l’ordinateur.
– Calcule vingt trajectoires envisageables pour un retour sur Terre sans… il chercha le mot adéquat pour obtenir la bonne réponse de la machine… pour un retour sur Terre sans dommages : arrivée dans 4 heures maximum, demanda-t-il, présentation du rapport dans 5 mn.
– Bien mon Capitaine.

Après que James et Silver eurent étudiés les correspondances entre les calculs du second pilote et ceux de HAL, ils se mirent aux commandes du vaisseau et se fixèrent à leurs fauteuils.

Solennel, Franck Mortimer tourna la tête et s’adressa au jeune homme :
– Lieutenant James Willburn, vous prendrez les commandes, tandis que je m’occuperais des esquives et autres dangers potentiels au cours de notre entrée dans l’atmosphère. Nous rentrons à la maison avec un colis si gros, qu’ont parlera encore de nous dans 10 ans, ajouta-t-il un sourire en coin.
– A vos ordres mon Capitaine, souffla James souriant. Pas mécontent si je puis me permettre. Je n’avais jamais participé à une mission aussi… déprimante.
– Moi non plus mon garçon, confirma Silver, moi non plus. Nous ramè…

Silver ne put poursuivre sa phrase car deux choses se passèrent simultanément sous les yeux de son subalterne.

Tout d’abord, plusieurs objets volants non-identifiés traversèrent le « pare-brise » du Grappler ce qui déclencha une nouvelle tempête intérieure.
Et dans le même temps, James vit l’arrière de la tête de Silver éclater, éclaboussant de son contenu tout un pan du poste de pilotage.
Les dizaines de petits éléments composant le matériel du vaisseau, se précipitèrent vers la cabine de pilotage comme si, doués de vie propre, ils avaient d’un commun accord, décidés de sortir de l’appareil par l’avant.

A ce moment précis, la mort de son supérieur n’était pas la priorité de James, même si le choc avait contracté son esprit une fraction de seconde. Il se précipita vers les armoires, récupéra un masque de rechange et le plaqua sur son visage. Se faisant, il jeta un coup d’oeil à Silver. Il était affalé sur son siège, ballotté par la dépressurisation de la cabine mais toujours attaché. Son masque était brisé au niveau du front et l’arrière de sa tête laissait entrevoir ce qu’il restait de son cerveau.

Une envie de vomir le pris, car d’une part le spectacle offert par son passager inerte était plus qu’écoeurant, et d’autre part, il venait de prendre conscience qu’il avait échappé de justesse à la mort.
– HAL ! Isole le poste de pilotage, cria-t-il.
– Bien mon Capitaine ! Répondit l’IA, inconsciente du changement d’interlocuteur.
Aussitôt le sas du cockpit se referma et James se retrouva seul avec Mortimer. Il savait qu’une fois la pièce vidée de toute son oxygène, le calme reviendrait dans le vaisseau. Mais il savait aussi qu’il ne pourrait plus compter que sur les maigres réserves d’oxygène de sa combinaison… déjà bien entamées par la première fuite.

D’après l’orientation du Grappler, il estimait qu’il se trouvait dans le bon axe. Une belle courbe bien tangente à la Terre afin de minimiser les échauffements sur la coque. Il fallait être délicat s’il voulait ramener le géocroiseur AD234 sur Terre.

Après quelques minutes, et alors que la navette entrait dans l’atmosphère, l’oxygène avait complètement quitté la cabine de pilotage. Les quelques instruments qui n’avaient pas été éjectés hors du vaisseau flottaient maintenant mollement autour de lui. Pas pour longtemps, car la gravité de la Terre reprendrait rapidement le dessus et les clouerait au sol dans quelques secondes.

James éreinté et fort secoué, s’accrochait aux commandes et à la compréhension des instruments de navigation. Rester concentré pour ne pas faiblir était le plus important car l’oxygène de la combinaison manquait déjà et le second pilote sentait ses forces le quitter.

Les parois de la navette commencèrent à trembler tandis que l’appareil s’échauffait en pénétrant dans l’atmosphère. La température intérieure grimpa rapidement. James sentait son esprit vaciller, la fatigue l’envahir, il ne tiendrait pas.
Le Grappler survolerai le Brésil dans quelques secondes puis les Etats-Unis, juste après cette grosse masse nuageuse en formation, grise et tournoyante.

Surtout rester éveillé.

Il se mit à penser qu’il faudrait vraiment établir la liste des dysfonctionnements de HAL, car ce dernier… pas inclus l’orage… dans calculs.
Il redressa brusquement la tête en ouvrant les yeux et comprit qu’il venait de s’endormir. Combien de temps ? Peu importait. Le Grappler avait déjà pénétré dans la surprise météorologique.

Le vaisseau se remit à trembler et la direction devint plus compliquée à tenir.
Des éclairs commencèrent à zébrer le ciel devant lui et la carlingue fut secouée violemment. Les tremblements furent tels que d’un coup, James sentit très nettement la masse de la navette s’alléger. L’écran de contrôle des instruments du Grappler lui confirma son impression : le module quatre s’était détaché. Le jeune lieutenant savait que désormais, AD234 ne faisait plus partie des bagages du Grappler et qu’il chutait. Il allait s’écraser quelque part au Brésil. Il n’eut cependant pas le loisir de s’apitoyer sur le sort de cette météorite importée, car l’orage était de plus en plus féroce et devenait déroutant. Les couleurs des nuages viraient au bleu, mauve et noir. Était-ce sa propre perception qui lui jouait des tours ? Ce qui l’inquiétait le plus pourtant c’était que l’oeil du cyclone n’était pas dirigé vers le sol, mais vers lui. C’était unique. Ce trou béant d’un noir profond lui faisait face comme la gueule d’un monstre gigantesque et magnifique prêt à le dévorer.

A la vitesse ou il allait, il savait qu’il ne pouvait rien faire pour modifier sa trajectoire car le vaisseau était prévu pour manoeuvrer dans l’espace, pas dans l’atmosphère terrestre. De plus en plus faible, le corps lourd et les paupières mi-closes, il enclencha le pilote automatique et s’accrocha du mieux qu’il pouvait à son siège espérant que le système le sortirait de cette situation.

Avant de s’effondrer, dans un souffle inarticulé, James Willburn, second pilote et lieutenant du Grappler bafouilla fébrilement :
– A… terri-saaaage… uuuuur-gent.

Immédiatement, HAL à l’écoute, enclencha le processus sur un ton dynamique :
– Bonjour mon capitaine !

Son dernier regard fut pour ce désert qu’il survolait mais qu’il ne connaissait pas, en lieu et place de la forêt amazonienne. Puis ce fût le noir.

– Paaaraaachuuute… sooooortiiiiiis !
– Paaaraaachuuute… sooooortiiiiiis !
Ce sont les paroles déformées de HAL qui le réveillèrent. En les entendant, James savait pourquoi il s’en était tiré. Quel miracle. Quoi qu’il en soit lorsqu’il ouvrit les yeux, il avait la tête en bas et le Grappler était immobile probablement au sol. Son arcade sourcilière s’était ré-ouverte et le sang lui brouillait la vue. L’air était chargé de fumée et le fit tousser… il devait rapidement sortir d’ici s’il ne voulait pas mourir étouffé.

Après avoir coupé HAL et s’être extrait du Grappler, il reconnut le tarmac de sa base de départ et se dirigea tant que bien que mal vers les hangars. HAL avait finalement bien exécuté sa dernière tâche et l’atterrissage s’était fait au bon endroit.
Pourtant, après quelques secondes de marche, il s’arrêta net et observa les pistes. Ces dernières donnaient l’impression de n’avoir pas été entretenues depuis des années. Il scruta alors les alentours et à l’endroit ou il aurait dû trouver une ville, James ne vit qu’un paysage dévasté. Des bâtiments qu’il connaissait bien étaient à moitié en ruine.

Que c’était-il passé ? HAL avait peut-être encore merdé après tout.

Il poursuivit sa marche vers ce qu’il croyait être les hangars. A son approche ils se révélèrent certes complètement rouillés mais arboraient les inscriptions familières à James. Il y entra donc et se dirigea vers la salle des radars. Il la trouva à l’endroit ou elle devait être.

En arrivant dans cette pièce gigantesque il découvrit un endroit abandonné, sans doute depuis des années, ce qu’il savait être impossible puisque Silver et lui-même avaient décollés de cet endroit trois semaines plus tôt. Des débris pourrissant jonchaient pourtant le sol et les écrans poussiéreux confirmèrent que tout cela ne datait pas d’hier.

Au détour d’un bureau, un journal attira son attention. Il le déplia lentement, curieux et lu le gros titre qui l’assomma :
– « L’HUMANITE CONDAMNEE ! ». L’article qui suivait ne le rassura pas non plus :
– « Après trois ans de lutte acharnée de la part de la communauté des médecins de la planète, les scientifiques se résignent. Le docteur Henry P. Johnson déclare : « Nous sommes désarmés face à la bactérie AD234. Ce premier contact avec la vie extra-terrestre, recherchée depuis si longtemps, nous détruira tous… jusqu’au dernier. »

Une note de bas de page expliquait : « La bactérie AD234 avait été nommée ainsi parce que transportée et ramenée sur Terre grâce au rocher AD234 jusqu’alors en orbite. Celui-ci s’était écrasé trois ans plus tôt dans un stade brésilien le 16 avril 2024. Il tournait autour de la Terre avec pour seul danger de potentielle collision avec nos satellites de communication, jusqu’à ce qu’une société de ramassage l’envoie sur Terre. Un problème informatique n’avait pas permis de le récolter dans de bonnes conditions. La navette avait disparu sans laisser de trace après l’incident. »

Après avoir lu les derniers mots, il regarda la date du journal et chancela.
– 7 décembre 2027… C’est impossible ! S’écria James.
Tremblant, ces yeux finirent par se poser sur l’horloge accrochée au mur. Elle indiquait 2037… 10 ans après la parution du journal et 13 ans après l’accident du Grappler qui avait tué Franck Mortimer. Il fallait se rendre à l’évidence, l’orage qu’il avait traversé n’avait pas été qu’une simple aberration météorologique, mais un pont d’Einstein-Rosen… autrement dit, un trou de ver (2). Une découverte unique pour un scientifique, mais qui aura eu un coût dévastateur.

Comment et pourquoi ? Il n’en avait aucune idée, mais il avait franchi les barrières du temps pour se retrouver 13 ans après le largage accidentel du rocher :
– Tout cela serait donc de ma faute, admit-il catastrophé. Non, se reprit-il. Tout vient du dysfonctionnement de HAL qui nous a réveillé trop tard. Et me voilà sans doute le denier survivant de la race humaine ! se dit-il abasourdit.
Toute sa famille, ses amis, ses voisins… tous avaient disparus, morts à cause d’un logiciel conçu pour les mauvaises raisons et dotés des mauvaises fonctions.

Il s’assit par terre, recroquevillé sur lui-même, et pleura longuement.

Ses larmes séchées et une fois l’impossible situation admise il se décida :
– Je vais me mettre en route pour trouver les autres. Je ne suis sans doute pas le dernier. Peut-être pourrons-nous tout recommencer ?

Alors qu’il croyait avoir compris et qu’il était sur le point de se reprendre pour aller de l’avant, son regard glissa sur ses doigts. Des tâches noirâtres étaient apparues sur sa peau. Elles couvraient même ses deux bras. Il frotta ces nouvelles traces de poussières, mais sa peau s’arracha sous le frottement, comme la pelure d’un méchant coup de soleil. Manifestement la bactérie était toujours là… hautement virulente, et personne n’avait eu la chance de recommencer quoi que se soit.

La race humaine s’éteindrait avec lui.

Annexe

(1) – 1 tera octet peut contenir l’équivalent de 700.000 disquettes des années 90

(2) – Un trou de ver est une déformation de l’espace-temps. Pour se représenter un trou de ver, imaginez un mètre ruban (1mètre = cent centimètres) qui mesurerait des années et non des centimètres (1 siècle = cent ans). Il faut donc parcourir cent ans pour aller d’un bout à l’autre de ce « siècle ruban ». Roulez-le sur lui-même et il vous faudra désormais moins d’un an pour aller de la première année à la centième.

2 réflexions sur “Quand ça veut pas !”

  1. Ping : Putain de caillasse de volante ! – Robert G. Forge

  2. Ping : Un recueil de nouvelles en préparation – Robert G. Forge

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